Article à consulter au sein de la revue Juris Associations n° 704 des éditions Dalloz, parue le 15 septembre 2024
Le mécénat de compétences consiste, pour une entreprise, à mettre les compétences d’un salarié à disposition d’un organisme d’intérêt général, à titre gratuit et sur son temps de travail.
Ce mécanisme s’est lentement développé jusqu’à connaître plus de succès ces dernières années. En 2022, il représentait 15% de l’ensemble du mécénat en France[1]. Le pourcentage d’entreprises envisageant de le proposer à leurs salariés est passé de 23% en 2018 à 30% en 2021[2].
Ce succès est cependant entravé par une absence de définition et de régime juridique propre. La première incursion de l’expression « mécénat de compétences » dans notre droit positif est en effet très récente. Elle résulte de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021[3], qui l’intègre aux avantages et ressources à déclarer lorsqu’ils émanent de l’étranger. Cette expression a ensuite été reprise par le décret n° 2022-1682 du 22 décembre 2022[4] , qui ouvre à titre expérimental le mécénat de compétences aux fonctionnaires.
Malgré cette absence de fondement juridique, le mécénat de compétences s’est développé dans le cadre de deux dispositifs distincts, dont il convient d’évaluer les risques juridiques.
- Le don d’une prestation de services
Dans cette situation, l’entreprise fournit gratuitement (sans facturation) une prestation au bénéfice de l’organisme bénéficiaire. La prestation est réalisée par un ou plusieurs salariés de l’entreprise, mais cette dernière reste l’employeur du ou des salariés « prêtés » et continue à leur donner des directives.
Cette forme de mécénat de compétences est à privilégier pour les missions d’une courte durée et bien délimitées (par exemple, la réalisation d’un site internet).
Selon l’administration fiscale, il s’agit d’un don en nature par lequel l’entreprise apporte à l’organisme des moyens en personnel, des services, et des compétences[5]. Ce type de don est expressément visé et autorisé par l’article 238 bis du Code général des impôts.
Cette modalité du mécénat de compétences est donc sécurisée.
- Le prêt de main d’œuvre à but non-lucratif
Ici, l’entreprise prête gratuitement un salarié à l’organisme bénéficiaire, généralement pour des missions plus larges et plus longues (par exemple, aider une association à professionnaliser sa communication). L’entreprise prêteuse reste l’employeur du salarié, mais ce dernier passe sous l’autorité fonctionnelle de l’organisme bénéficiaire qui peut lui imposer ses règles d’organisation interne et ses conditions de travail.
En France, le prêt de main d’œuvre entre deux entreprises est interdit lorsqu’il poursuit un but lucratif[6]. Seul le prêt de main d’œuvre à but non-lucratif est autorisé. Deux dispositifs de ont ainsi pu être utilisés dans le cadre du mécénat de compétences :
- Le dispositif « Cherpion »[7], qui nécessite de conclure une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’organisme bénéficiaire définissant le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés.
En effet, pour que le prêt de main d’œuvre soit non-lucratif, l’entreprise prêteuse est obligée de facturer à l’organisme bénéficiaire les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels. Aucun profit ni aucune économie ne peuvent être réalisés (facturation « à l’euro l’euro », ni plus, ni moins).
Or, dans le mécénat de compétences, la mise à disposition du personnel ne fait l’objet d’aucune facturation, ce qui permet à l’organisme bénéficiaire de réaliser une économie, caractérisant ainsi selon la Cour de cassation[8] le but lucratif de l’opération et le délit de prêt illicite de main d’œuvre[9].
Cette modalité du mécénat de compétences n’est donc pas sécurisée.
- Le dispositif « Macron »[10], qui autorise le prêt de main d’œuvre au bénéfice des organismes d’intérêt général même lorsque le montant facturé par l'entreprise prêteuse est égal à zéro ou inférieur au montant des salaires.
Malheureusement, son champ d’application était au départ très limité, car seules les grandes entreprises d’au moins 5 000 salariés pouvaient en bénéficier. Pour les petites entreprises, cette modalité du mécénat de compétence n’était donc pas sécurisée.
Toutefois, l’article 6 de la loi n° 2024-344 du 15 avril 2024[11] a supprimé cette condition d’effectif. Désormais, toutes les entreprises peuvent mettre gratuitement leurs salariés à disposition d’organismes d’intérêt général, sans aucune facturation, et ce pendant une durée maximale de trois ans, contre deux ans auparavant.
Cette modalité du mécénat de compétences est donc sécurisée.
Conclusion
D’un point de vue juridique, les entreprises comme les associations peuvent aujourd’hui réaliser du mécénat de compétences de façon sécurisée, aussi bien dans le cadre de la prestation de services que dans le cadre de la mise à disposition gratuite de personnel selon le dispositif « Macron » réformé.
D’un point de vue fiscal, les risques paraissent eux-aussi mesurés dès lors que l’organisme bénéficiaire figure bien dans la liste légale[12]. Ces deux opérations ouvrent droit à la réduction fiscale et sont valorisées à leur coût de revient[13]. Pour la mise à disposition gratuite du personnel, le coût de revient à retenir pour calculer la réduction d'impôt est limité à trois fois le montant du plafond de la sécurité sociale (pour 2024 : 11 592 € mensuels). Cette limite n’existe pas pour le don de prestation de services.
En revanche, d’un point de vue social, les entreprises devront éviter certains écueils pratiques, comme réserver le mécénat de compétences aux salariés âgés, en fin de carrière, devenus indésirables. Une telle situation est en effet génératrice de risques importants.
Pour preuve, la Cour de cassation a récemment tranché un litige opposant un salarié à son employeur, qui avaient conclu une transaction par laquelle le salarié s’engageait à partir en retraite à l’issue d’un mécénat de compétences de trois ans. Or, une transaction ne peut avoir pour objet ni pour effet de rompre le contrat de travail, mais seulement régler les conséquences de la rupture. Le salarié a donc contesté la validité de sa transaction et réclamait à son employeur environ 120 000 € de demandes salariales et 500 000 € de demandes indemnitaires. La Cour de cassation[14] lui a donné raison, en cassant et annulant l’arrêt d’appel[15] ayant validé cette transaction. Toutefois, la cour d’appel de renvoi a ensuite à nouveau fois validé la transaction[16]. En attendant la décision définitive de la Cour de cassation, la plus grande vigilance s’impose !
[1] Étude ADMICAL 2022 - Le baromètre du mécénat d’entreprise en France
[2] Deuxième baromètre du mécénat de compétences, 2020, Alliance pour le mécénat de compétences
[3] Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République
[4] Décret n° 2022-1682 du 27 décembre 2022 relatif à l’expérimentation de la mise à disposition de fonctionnaires dans le cadre d’un mécénat de compétences
[5] BOI-BIC-RICI-20-30-10-21, n° 5, 21/06/2023
[6] Article L. 8241-1 du Code du travail
[7] Article L. 8241-2 du Code du travail
[8] Cass. Soc., 20 mars 2007, n° 05-85.253
[9] Article L. 8243-1 du Code du travail : emprisonnement de deux ans et amende de 30 000 €
[10] Article L. 8241-3 du Code du travail
[11] Loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative
[12] Article 238 bis 1 a) à g) du Code général des impôts
[13] Article 238 bis 1 du Code général des impôts, avant-dernier et dernier paragraphes
[14] Cass. Soc., 11 octobre 2023, n° 22-15.302
[15] CA. Paris, 9 février 2022, n° 19/11179
[16] CA. Paris, 29 mai 2024, n° 23/06677