9 février 2023

Le contrat d’engagement républicain, le préfet et le climat

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Une association propose lors d’un évènement des ateliers de formation à la désobéissance civile. Le préfet s’en insurge et demande le retrait des subventions pour non-respect du contrat d’engagement républicain.

Introduction

Alternatiba Poitiers est une association qui œuvre pour la justice sociale et climatique. Elle cherche à sensibiliser le public sur le dérèglement climatique en cours et entend promouvoir une société de la sobriété.

Pour soutenir ses actions, l’association a bénéficié de subventions de la part de la mairie de Poitiers (10 000 €) et de la communauté urbaine du Grand Poitiers (5 000 €).

Les 17 et 18 septembre 2022, Alternatiba Poitiers a organisé un évènement intitulé « Le Village des Alternatives », au cours duquel un atelier intitulé « formation à la désobéissance civile » devait se tenir.

Toutefois, le préfet du département de la Vienne a estimé que cet atelier portait atteinte au « contrat d’engagement républicain » signé par l’association. Il a donc adressé un courrier à la mairie de Poitiers et à la communauté urbaine du Grand Poitiers pour leur demander de procéder au retrait des subventions versées.

Avant d’entrer dans le fond de cette affaire, quelques rappels sur le contrat d’engagement républicain, une innovation issue de l’article 12 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

Qu’est-ce que le contrat d’engagement républicain ?

Il s’agit d’un « contrat » par lequel l’organisme qui sollicite une subvention s’engage[1] :

« 1° À respecter les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de l'article 2 de la Constitution ;

2° A ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ;

3° A s'abstenir de toute action portant atteinte à l'ordre public. »

Le qualificatif de « contrat » a été contesté par certains auteurs[2] ainsi que par le Conseil d’État[3], car il n’y a pas à proprement parler de création d’obligation contractuelle. Nous reprendrons toutefois à notre compte cette appellation désormais consacrée par la loi.

Un décret d’application est ensuite venu préciser le contenu du contrat d’engagement républicain, qui comprend sept engagements[4] :

  1. Respect des lois de la République ;
  2. Liberté de conscience ;
  3. Liberté des membres de l’association ;
  4. Égalité et non-discrimination ;
  5. Fraternité et prévention de la violence ;
  6. Respect de la dignité de la personne humaine ;
  7. Respect des symboles de la République.

Qui est soumis au contrat d’engagement républicain ?

Le contrat d’engagement républicain s’applique à « toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention au sens de l’article 9-1 auprès d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial [5]».

La doctrine a déjà eu l’occasion d’analyser en détail le champ d’application du contrat d’engagement républicain[6]. Rappelons simplement :

  1. Que le bénéficiaire de la subvention doit être une association ou une fondation. Les fonds de dotation ne sont donc pas concernés, et pour cause, puisque la loi leur interdit de percevoir des fonds publics, de quelque nature qu’il soit[7]. Les sociétés coopératives agricoles, qui peuvent également recevoir des subventions[8], ne sont pas non plus concernées. Les associations agréées, les associations et fondations reconnues d’utilité publique sont quant à elle réputées respecter le contrat d’engagement républicain.
  • Que l’entité qui octroie la subvention doit être une autorité administrative ou un organisme gérant un service public industriel et commercial (SPIC). Ainsi, une association recevant une « subvention » de la part d’une autre association, d’une fondation, d’un fonds de dotation, voire d’une société commerciale (hors SPIC), n’est pas tenue de souscrire un contrat d’engagement républicain.

Que se passe-t-il si l’organisme ne respecte pas le contrat d’engagement républicain ?

Deux sanctions sont prévues par la loi[9] :

  • Le refus de la subvention demandée ;
  • Le retrait de la subvention allouée, au prorata de la période qui restait à courir à la date du manquement[10]. L’organisme bénéficiaire de la subvention dispose alors d’un délai de 6 mois maximum pour restituer les sommes réclamées.

Que retenir juridiquement de cette affaire ? 

  1. Sur la forme : l’incompétence du préfet

Il convient en premier lieu de remarquer que la loi ne confère aucune compétence de sanction au préfet en matière de non-respect du contrat d’engagement républicain.

En effet, le préfet du département où est situé le siège de l’association ou de la fondation se voit seulement communiquer la décision de retrait de la subvention[11].

Le retrait de la subvention ne peut en réalité être ordonné que par l’autorité ou l’organisme l’ayant allouée.

Or, en l’espèce, ni la mairie de Poitiers, ni la communauté urbaine du Grand Poitiers, n’ont ordonné un tel retrait. Au contraire, elles ont répondu au préfet qu’elles soutenaient pleinement les actions de l’association[12].

Force est d’en déduire que la demande du préfet ne repose sur aucun fondement juridique. Nous nous trouvons donc plutôt dans le champ du politique, voire de la communication politicienne.

Pourtant, selon des propos rapportés par un journaliste, le préfet a déclaré le 16 septembre 2022 qu’il n’écartait pas la possibilité de porter l’affaire devant la justice administrative[13].

Sur quelle base ? À l’encontre des collectivités territoriales ou de l’association ? Le suspense reste entier, mais précisons d’ores et déjà que l’action en dissolution judiciaire d’une association pour objet illicite ne lui sera pas ouverte en l’absence d’un intérêt personnel, direct et juridiquement protégé. En outre, cette action relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire[14], et non du tribunal administratif.

  • Sur le fond : l’impertinence[15] du préfet

Malgré l’incompétence formelle du préfet, son analyse est-elle défendable juridiquement ? L’association Alternatiba Poitiers a-t-elle réellement manqué au contrat d’engagement républicain en organisant cet atelier de formation à la désobéissance civile ?

Pour répondre à ces questions, reprenons textuellement l’engagement n° 1 du contrat d’engagement républicain :

« ENGAGEMENT N° 1 : RESPECT DES LOIS DE LA RÉPUBLIQUE

Le respect des lois de la République s'impose aux associations et aux fondations, qui ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ».

Pour valoir non-respect du contrat d’engagement républicain, l’action entreprise ou incitée par l’association doit donc remplir les deux critères suivants :

  • La contrariété à la loi doit être « manifeste » ;
  • L’action doit être soit violente, soit susceptible d’entraîner de troubles graves à l’ordre public.

En l’espèce, ces critères sont-ils remplis ?

Le premier critère paraît caractérisé puisque l’atelier organisé par Alternatiba Poitiers ne consistait pas en une simple conférence informative.

Au contraire, l’animation de cet atelier a été confiée à Greenpeace Poitiers et XR (Extinction Rébellion) Poitiers, des associations spécialisées dans les actions de désobéissance civile. Cet atelier semblait donc avoir pour objectif de fournir au public les moyens nécessaires pour qu’ils puissent mener à leur tour des actions de désobéissance civile.

Or, la désobéissance civile se définit justement comme « la transgression délibérée, publique, concertée et non-violente d’une loi en vigueur, pour exercer une pression visant à faire changer une loi ou une décision politique »[16].

En organisant cet atelier, Alternatiba Poitiers a donc incité les participants à mener des actions « manifestement contraires à la loi ».

La réponse semble en revanche plus nuancée pour le second critère puisque d’une part la désobéissance civile est intrinsèquement non-violente. D’autre part, si elle suscite de fortes réactions, elle n’entraîne pas nécessairement de graves troubles à l’ordre public.

Par exemple, jeter de la peinture lavable sur des panneaux publicitaires pour dénoncer la surexposition aux publicités cause-t-il un « grave » trouble à l’ordre public ? Rien n’est moins sûr, comme en témoigne la relaxe des « déboulonneurs » par le Tribunal correctionnel de Paris en 2010[17].

Par conséquent, la position du préfet semble juridiquement fragile, sauf à démontrer que ces ateliers de formation ont en réalité servi à lancer des appels à la violence ou à commettre de graves troubles à l’ordre public.

  • Sur le contexte : la méconnaissance du préfet

Nos sociétés subissent une crise écologique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Les sujets environnementaux sont en deuxième position des préoccupations principales des Français, devant le chômage et l’immigration[18].

Toutefois, malgré les alertes des scientifiques depuis plusieurs décennies, les dirigeants politiques n’ont pas su et ne savent toujours pas répondre aux attentes des citoyens en la matière.

En effet, l’État français a été condamné en justice pour inaction climatique[19], en raison de ses manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Au lieu de vouloir sanctionner les citoyens et les associations qui utilisent la désobéissance civile pour limiter les effets du dérèglement climatique, le préfet, en sa qualité de représentant de l’État dans les collectivités territoriales de la République, en charge des intérêts nationaux et du respect des lois[20], ne ferait-il pas mieux de d’abord veiller à ce que l’État respecte ses propres « engagements » ?

Cette volonté de sanctionner la désobéissance civile traduit en outre une méconnaissance du rôle du juge.

En effet, le juge est le gardien des libertés individuelles, et il veille - certes trop rarement - à conserver ce rôle en matière de désobéissance civile, sous l’influence notamment de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Les deux affaires suivantes l’illustrent.

En 2014, une militante Femen a été poursuivie pour exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui après s’être dévêtue pour révéler l’inscription « Kill Putin » sur sa poitrine et avoir fait tomber la statue de cire du président russe.

Elle a finalement été définitivement relaxée en 2020 au nom de la liberté d’expression, car son comportement s’inscrivait dans une démarche de protestation politique[21].

Plus récemment, la Cour de cassation a cassé un arrêt condamnant plusieurs « décrocheurs de portraits » d’Emmanuel Macron qui souhaitaient alerter sur l’urgence sociale et climatique.

La Cour a en effet reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché si la condamnation pouvait constituer une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression des prévenus[22].

Certes, la désobéissance civile est encore loin d’être totalement consacrée par les juges (voir notamment la récente validation de la condamnation d’autres « décrocheurs » par la Cour de cassation[23]).

Conclusion

Le monde associatif avait exprimé de fortes craintes à l’encontre de ce contrat d’engagement républicain, en raison notamment de son risque d’instrumentalisation par le pouvoir pour faire pression sur les associations qui s’opposent à lui, même pacifiquement par la désobéissance civile[24].

Cette affaire démontre malheureusement que ces craintes étaient fondées.

Espérons néanmoins que le début de protection judiciaire dont bénéficie la désobéissance civile permettra d’éviter de tels détournements de la finalité du contrat d’engagement républicain.


[1] Article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, al. 1

[2] J. Morange, Les associations, RFDA 2021. 824 ; D. Hiez, Le contrat d’engagement républicain : l’approfondissement d’une figure connue, RTD com. 2022. 103

[3] CE, avis sur un projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République, 3 déc. 2020, n° 21

[4] Décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021

[5] Article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, al. 1

[6] D. Hiez, art. préc.

[7] Article 140 III de la loi n° 2008-886 du 4 août 2008

[8] Article L. 523-7 du Code rural et de la pêche maritime

[9] Article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, al. 7 et 8

[10] Article 5 du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021

[11] Ibid., al. 9

[12] X. Le Roux, « La maire de Poitiers dénonce « une conception de la République qui s’effrite », La nouvelle République, 16 septembre 2022

[13] R. Bizeul, « Et si désobéir était reconnu d’intérêt général ? », Fr3 Nouvelle Aquitaine, 16 septembre 2022

[14] Article R. 211-3-26 du Code de l’organisation judiciaire

[15] Au sens littéraire : manque de pertinence d’une remarque, assertion, d’un raisonnement (Larousse 2022)

[16] C. MELLON, « Désobéissance civile », Encyclopaedia Universalis (en ligne), 19 septembre 2022

[17] L. Fontaine, De la liberté de conscience à la désobéissance légale, Hebdo édition publique n° 272, janvier 2013

[18] CREDOC, Enquête « conditions de vie et aspirations, janvier 2021

[19] TA. Paris, 14 octobre 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1

[20] Article 72 de la Constitution, al. 6

[21] Cass. Crim., 26 février 2020, n° 19-81.827

[22] Cass. Crim., 22 septembre 2021, n° 20-85.434

[23] Cass. Crim., 18 mai 2022, n° 21-86.685

[24] P. Bucau, Quand le contrat d’engagement républicain devient une menace…, JA 2022 n° 655, p.43

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Maître Pastene est avocat au barreau de Lyon depuis 2014. Il intervient en droit de l'économie sociale et solidaire.
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