Le 11 août 2023, au beau milieu de l'été, le Conseil d'État statuant en référé a rendu une ordonnance dans l'affaire opposant le mouvement Les Soulèvements de la Terre au Ministère de l'Intérieur. Quelques éléments de réflexion à la volée.
La position du Ministère de l'Intérieur
Dans son décret du 21 juin 2023 portant dissolution d'un groupement de fait, le Ministère de l'Intérieur reproche au mouvement Les Soulèvements de la Terre d'appeler, de provoquer et de participer à des "agissements particulièrement nombreux et violents".
Parmi ces agissements figurent notamment des appels à commettre des dégradations, des modes opératoires violents inspirés des Black Blocks, ainsi que des agressions physiques contre les forces de l'ordre.
Le Ministère de l'Intérieur considère donc que ce mouvement provoque à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, ce qui justifierait une dissolution sur le fondement de l'article L. 212-1 1° du Code de la sécurité intérieure.
La position du mouvement
Le 28 juillet 2023, le mouvement Les Soulèvements de la Terre a déposé deux requêtes, l'une en référé-suspension (procédure d'urgence qui a donné lieu à la présente décision du Conseil d'État) et l'autre au fond, qui sera examinée plus tard par le Conseil d'État.
Il conteste tout d'abord la qualification de "groupement de fait" retenue par le Ministère de l'Intérieur. Il se revendique au contraire comme un courant de pensée, un mouvement écologiste horizontal et sans dirigeant. Et, selon la formule bien connue du mouvement, "on ne dissout pas un soulèvement".
Ensuite, il conteste le caractère nécessaire et proportionnel du décret pris par le Ministre de l'Intérieur. Il rappelle notamment que de nombreux évènements se sont déroulés dans le calme et que les seuls appels à la désobéissance civile se limitaient à des atteintes aux biens, et non aux personnes.
Enfin, le mouvement soutient que ce décret caractérise une violation des articles 10 et 11 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) consacrant les libertés d'expression et d'association.
La procédure
Cette ordonnance du Conseil d'État fait suite à une procédure d'urgence initiée par le mouvement Les Soulèvements de la Terre, appelée procédure "en référé". Le mouvement a ainsi demandé "en référé" la suspension du décret, pour obtenir une décision plus rapidement.
Deux conditions doivent être remplies pour que cette procédure aboutisse :
- Que la mesure de dissolution contestée caractérise une situation d’urgence,
- Qu’il y ait un doute sérieux sur sa légalité.
Soit le Conseil d'État estime que ces conditions sont remplies, et il fera droit à la demande. Soit il juge au contraire que ces deux conditions ne sont pas remplies, et il rejettera cette demande en référé.
L'ordonnance du Conseil d'État
Le Conseil d'État retient tout d'abord que la première condition relative à l'urgence est remplie. En effet, selon la juridiction administrative, le décret de dissolution porte nécessairement atteinte à la liberté d'association, ce qui caractérise de facto une situation d'urgence.
Ensuite, concernant la seconde condition, le Conseil d'État rappelle plusieurs points :
- Le mouvement ne cautionne pas les violences à l'encontre des personnes.
- Les atteintes à des biens ont été symboliques et en nombre limité, et elles se sont inscrites dans des initiatives de désobéissance civile et de désarmement de dispositifs portant atteinte à l'environnement.
- Les dommages résultant des atteintes aux biens ont été circonscrits et de faible importance.
Le Conseil d'État en déduit qu'il existe un risque sérieux sur la légalité du décret de dissolution, car les actions du mouvement ne semblent pas répondre à la qualification de "provocation à des agissements troublant gravement l'ordre public" requise par l'article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure.
Le Conseil d'État a donc suspendu l'exécution du décret de dissolution, en attendant que l'affaire soit définitivement jugée "au fond".
Les suites
Cette ordonnance "en référé" ne préjuge pas de la décision définitive du Conseil d'État qui sera rendue "au fond". Deux situations peuvent donc se produire :
- Soit le Conseil d'État statue dans le même sens qu'en référé, en estimant que le décret de dissolution n'est pas régulier, auquel cas ce décret sera définitivement annulé.
- Soit le Conseil d'État considère que le décret de dissolution est finalement régulier, auquel cas la dissolution du mouvement Les Soulèvements de la Terre sera effective.
Selon le communiqué du Conseil d'État, la décision définitive est attendue pour l'automne 2023.
En attendant le fin mot de l'histoire, Les Soulèvements de la Terre ont revendiqué une "première victoire" face au "régime macronien résolument autoritaire". Le Ministère de l'Intérieur, dans un communiqué de presse laconique, a quant à lui "pris acte" de cette ordonnance en rappelant qu'elle ne préjugeait pas de la décision définitive au fond.
Affaire à suivre...